Comme dans la chanson, cette toile est un véritable –et audacieux- « pot-pourri ». Si le terme vous semble inapproprié, remplacez-le par « collage », plus pictural et plus distingué… Reste l’audace de la juxtaposition d’éléments thématiques d’origine fort diverse.
Si l’on en croit le peintre, le point de départ du tableau est un mythe grec, celui de Coronis, fille de roi, belle évidemment et pour cela aimée d’Apollon (la liaison tourne très mal, mais Paul Morellet ne s’intéresse pas à la chronique people de l’Antiquité hellénique).
Ce qu’il retient du mythe, c’est l’oiseau, le corbeau ou la corneille, et sa métamorphose chromatique : en effet, de blanche qu’elle était en ces temps très anciens, elle devint noire pour avoir gravement contrarié le dieu. Et voilà donc une modeste corneille blanche, puisque passée par profits et pertes, et une imposante corneille noire (comme il se doit en nos jours contemporains) convoquées sur le fond bleu homogène de la toile.
Mais on se souvient aussi que, dans le récit biblique de la fin du Déluge, Noé envoie aux nouvelles d’abord un corbeau, qui néglige de revenir à l’arche, puis une colombe, plus obligeante et plus fiable, qui, elle, rentre porteuse d’un rameau d’olivier dans le bec : signe qu’on va pouvoir débarquer, ça sèche, la terre devient ferme !
Il y a encore autre chose : dans le tableau, ce corbeau semble aux ordres du personnage monumental de noir vêtu, mains sur les hanches, regard impavide, encore beau peut-être, mais surtout la mine redoutable, le peintre.
Or il se trouve que, dans la mythologie germanique, Wotan, le roi des dieux, a pour animal accompagnateur le corbeau. Morellet en Wotan, c’est à vrai dire un peu inattendu, mais il serait mal venu de critiquer l’inconscient du peintre…
Pour contrebalancer tout ce paganisme, une Vierge bien chrétienne et toute menue, empruntée à une Nativité du XVème siècle allemand. Mais attention ! pas une Vierge de la crèche, entre le bœuf et l’âne, mais une Vierge on the road, qui prie à l’étape à côté de son sac de voyageuse céleste, façon Kérouac !
Avec le sac de voyage, voici une auto-référence : Paul Morellet, grand voyageur dans un plus jeune temps, a peint des Voyageurs (1984), réduits à leurs chaussures et à de volumineux sacs, le thème ayant fait ensuite des réapparitions plus ou moins discrètes et directes.
Quant à la borne Nationale 1, c’est encore une auto-référence, mais à une toile bien plus récente, où le petit Paul chevauche son enfantine voiture à pédales…
Tous ces éléments sont proposés frontalement, sans aucune volonté de hiérarchiser, comme le permet l’artifice de la perspective, et sur un fond uniforme. Ainsi peut-on dire que le tableau fonctionne comme un rébus à l’adresse du spectateur. C’est ce rébus que j’ai prétendu déchiffrer !
Maintenant, si toutes ces considérations vous paraissent oiseuses, oubliez-les et dites que la toile est un autoportrait… jupitérien !
Jean Paul PONTVIANNE, 15 octobre 2018